Spectateurs du désespoir ? NON ! Acteurs de l’espoir ? OUI !

Retour sur une rencontre « spectaculaire » entre des militant·e·s de la cellule de Charleroi et des élèves de 5ème secondaire. 

Vendredi 26 avril, à 21h, les 300 personnes du public de la salle de l’Eden à Charleroi, pourtant encore survoltées par la chorégraphie électrisante qui vient de se terminer, perdent peu à peu leurs repères et leur confort. Un malaise se répand en même temps qu’une sombre lueur bleutée introduit sur la scène trois jeunes dansant comme des marionnettes au son comics-strange d’une fête foraine ou de kermesse. Une fille hurle au public scotché : « Bonsoir, mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue au cirque des mendiants ». Paf ! Une autre, espiègle, lance : « Hahaha mesdames et messieurs, venez voir des spécimens rares, donnez-leur une pièce pour les nourrir et … ils vous feront peut-être un petit sourire … Restez bien assis et bien attentifs car ceci risque de vous surprendre ». En effet.

Au fur et à mesure que les 12 élèves de 5ème année, option sciences sociales et éducatives de l’institut Saint-Joseph de Charleroi, nous balancent toute la panoplie la plus crue des préjugés et stéréotypes pourtant banalisés de la pauvrophobie, le public perd sa voix, la gorge s’assèche, le visage se crispe, les bras chancellent. Sauf … pour la militante et le militant de la cellule ATD Quart Monde de Charleroi, assis à côté de moi. elle et lui ont le sourire aux lèvres et le regard confiant dans ce qui va suivre. Car ils connaissent bien ces 12 jeunes. Ils ont travaillé plus de 3 heures avec eux pour dire ce qu’est concrètement le combat quotidien contre la pauvreté et l‘exclusion. 

 

Retour en arrière.

Quelques mois plus tôt, l’enseignante de l’option contacte l’équipe d’animation d’ATD Quart Monde Jeunesse car ses élèves souhaitent travailler les préjugés de la pauvrophobie. Nous discutons plusieurs fois ensemble pour construire un projet autour d’une rencontre qui répond aux demandes et des jeunes et des militants. Nous nous mettons vite d’accord sur l’objectif : créer des conditions pour qu’un vrai échange puisse avoir lieu : pas de témoignage voyeuriste mais pas non plus d’une morale bisounours. 

Lors du premier atelier, sans les militants : les élèves débattent avec l’équipe d’animation sans jugement, on s’écoute et on essaye de comprendre d’où vient telle ou telle affirmation entendue ici et là : la pauvreté, c’est dans le tiers-monde ; quand on veut, on peut s’en sortir seul de la pauvreté ; tous les pauvres sont des fraudeurs ; suffit de savoir faire les bons choix ; de toute manière, quand on donne une pièce, c’est pour aller acheter de l’alcool ; moi pour m’en sortir on m’a appris le sens de l’effort, alors pourquoi pas eux; c’est à l’État à s’en occuper ; c’est injuste mais en même temps on peut rien y changer ; etc. Discussion complexe et respectueuse. Nous posons ensuite quelques balises pour la rencontre avec les militants que nous reprenons de la charte du Croisement des savoirs.

Ensuite, nous retrouvons les deux militants de la cellule d’ATD Quart Monde de Charleroi qui se sont engagés dans ce projet. Nous leur montrons les vidéos que les élèves ont montées pour les inviter et leur poser des questions. Nous préparons ensemble le déroulé de l’atelier de rencontre. Peur surtout que le discours ne passe pas et que le dialogue ne soit pas réciproque.

Arrive ce fameux moment, après quelques semaines : la rencontre. Côté jeunes et côtés militants, c’est intimidant. Les premiers échanges se murmurent brièvement. Puis, au fil de ce dialogue, les uns et les autres s’entraident pour se donner confiance et parler plus franchement. D’abord, à partir de parcours de vie, nous essayons de comprendre ce qu’est la pauvreté et ensuite on réfléchit au moyens de lutter contre les situations d’exclusion. Après trois heures d’un vrai dialogue, nous nous quittons avec émotion. Les militants sont fiers d’avoir pu dire ce qu’ils souhaitaient dire aux jeunes qui nous invitent au spectacle « Silence, jeune l’ouvre ! »

Un mois plus tard, nous nous retrouvons donc assis dans cette grande salle de théâtre où les élèves de toutes les années de l’école Saint-Joseph proposent un grand cabaret engagé. Après, les uppercuts reçus sur les préjugés, une élève atomise le public « Et si on rendait ensemble l’invisible visible ? ». Puis, ils se retournent, dos au public, et s’asseyent face au grand écran sur lequel défilent les capsules vidéos que chaque élève a réalisées pour démonter un par un tous les préjugés : chiffre à l’appui, étude universitaire. Le public reste pantois et bouche bée. Ça remue de l’intérieur et creuse les méninges.

C’est la finale, ils se relèvent. La chanson d’IAM, « Pourquoi ne suis-je pas né sous la même étoile » à plein volume. Face à nous, d’un même geste, les douze jeunes s’entraident pour retirer le bandage qui les aveuglaient, puis déchirent avec une même force, le gobelet en carton qu’ils tenaient devant eux.

Une seule phrase, un même slogan pour clôturer ensemble qu’ils crient courageusement à la face du public impressionné : « Spectateurs du désespoir ? NON ! Acteurs de l’espoir ? OUI ! ».

Une des filles prend alors le micro pour remercier les militant·e·s et ATD Quart Monde « car c’est grâce à eux que le projet a pu aboutir ». Applaudissement de feu dans la salle.

Pour conclure, voici un extrait d’une conversation échangée par réseau social :

ATD : « C’était fort, percutant, poétique, touchant. Dans tous les cas, merci pour les larmes, les sourires, l’énergie et la réflexion que vous nous avez offerts pendant votre représentation. Chapeau à vous, les artistes et acteurs·rices de l’espoir 👏. Le combat continue ✊ »

Une élève  : « Merci beaucoup pour tous ces mots gentils. Sans vous tous le spectacle n’aurait jamais existé. Notre prestation est le reflet de notre rencontre. »

Arnaud Groessens, pour l’équipe d’animation d’ATD Quart Monde Jeunesse