« La démarche en croisement des savoirs, c’est l’apprentissage de la dignité pour tous. Sans exclusion. » Françoise Ferrand*
Le samedi 25 mai 2019, le groupe école d’ATD Quart Monde Wallonie-Bruxelles organise une journée de retrouvailles pour les participants du projet Nos ambitions pour l’école (2013-2017). Les sourires, accolades et prises de nouvelles entre les uns et les autres annoncent le lien solide qui s’est forgé grâce à cette longue expérience de partage des savoirs. Grâce à la préparation d’un groupe de militants, il n’a pas fallu longtemps pour se remémorer les étapes essentielles qui ont jalonné ces trois années de travail. Par la suite, les participants comparent les résultats de leur démarche avec l’actualité des avancées du Pacte d’Excellence. Au final, tout le monde est d’accord pour poursuivre l’action, avec de nouvelles personnes, afin de davantage faire connaître la méthode de recherche participative innovante et d’autre part de mieux diffuser les propositions de Nos ambitions pour l’école.
Retour en arrière : « A partir de 470 pages, ils ont écrit ensemble, même avec ceux qui ne savaient pas lire, la brochure Nos ambitions pour l’école ».
2013 : la colère vis-à-vis de l’école exprimée par parents et jeunes rassemblés dans ATD Quart Monde est le point de départ. Les moqueries et préjugés qu’ils subissent témoignent d’un système scolaire inégalitaire, qui au lieu de remplir sa mission d’offrir à tous les élèves les mêmes chances de réussite, les exclue.
Une dizaine de parents et une douzaine de jeunes d’ATD Quart Monde (entre 13 et 20 ans) qui vivent l’exclusion par rapport à l’école et une quinzaine de professionnels de l’école engagés l’association Changements pour l’égalité se lancent dans ce projet. Le but commun : que tous les élèves puissent réussir à l’école.
Le croisement des savoirs est la méthode de travail choisie pour mettre en place la dynamique de co-construction. Jeunes, parents et professionnels sont tous considérés à égalité : comme des chercheurs pour trouver ensemble des solutions. Chacun apporte ses idées et son expérience et les témoignages d’autres jeunes, parents ou professionnels qu’ils connaissent bien.
Règles de base pour garantir cette égalité des savoirs : on ne coupe pas la parole, on ne juge pas et surtout on prend tout le monde au sérieux. Au début, des malentendus sur le sens des mots freinent la communication. Par exemple, les professionnels utilisent le mot justice pour parler d’égalité tandis que pour les jeunes, il est associé au tribunal et aux forces de l’ordre. Un même mot peut pivoter d’un groupe à l’autre vers des valeurs contraires. Il faut donc prendre le temps de reformuler et de s’expliquer pour que peu à peu le dialogue gagne en confiance réciproque.
Le projet dure trois ans et trois mois pour arriver à se mettre d’accord sur des propositions pour faire changer l’école et pour écrire la brochure. Plusieurs outils d’animation ont permis d’avancer : discussion par groupe de pairs à partir d’une cible pour s’accorder sur « c’est quoi réussir à l’école ? », jeu de l’oie sur les freins et leviers d’un parcours scolaire, théâtre forum pour trouver des solutions à des situations d’injustice et de moquerie.
2017 : Pour réaliser la brochure « Pour une école où TOUS réussissent », une dizaine de participants se retrouvent pendant trois jours dans un centre de formation. A partir de 470 pages de prises de notes, ils ébauchent ensemble, même avec ceux qui ne savent pas lire, les conditions et les propositions d’actions pour arriver à une école où TOUS réussissent. Chaque phrase est par la suite acceptée par tout le monde.
Les participants ont résumé les conditions de réussite en 4 grandes propositions. Pour permettre des chances égales de réussite à tous les élèves et en particulier à ceux qui ont le plus de difficultés, il faut que les écoles garantissent :
– à tous les élèves, la possibilité de choisir au lieu de subir des décisions qui peuvent être arbitraires ;
– la collaboration entre jeunes, parents et professionnels de l’école plutôt que la compétition ;
– la valorisation par le soutien et l’encouragement plutôt que la sélection ;
– et enfin, le respect total de la loi sur la gratuité pour tous.
Et depuis : « On a beaucoup interpellé, mais c’est compliqué d’aller plus loin ».
25 mai 2019. Après s’être replongé dans le passé, chacun raconte toutes les actions menées : diffusion de la brochure dans les écoles, discussions dans des associations, interpellation d’autres professionnels, d’autres parents et d’autres jeunes. Remise de la brochure à la ministre de l’Éducation, Marie-Martine Schyns, lors d’une Université Populaire d’ATD Quart Monde. Plusieurs animations à destination de futurs enseignants ont également eu lieu pour les sensibiliser et les conscientiser aux problématiques travaillées. Participation à la Coalition des parents de milieux populaires de Bruxelles.
« Pour la suite : « C’est pas avec un beau bouquin que ça va changer ».
Le groupe souhaite maintenant poursuivre en travaillant sur deux grandes actions. Premièrement, créer une formation spécifique à partir du projet Nos ambitions pour l’école à destination des futurs enseignants et sans doute aussi aux professeurs en cours de carrière. Deuxièmement, réaliser des capsules vidéos plus faciles d’accès pour mieux communiquer. Des réunions sont en préparation.
Pour terminer : « Je me suis levée à 4h du matin pour ne pas louper ça ».
La journée se termine par un tour de table. Florilège de ce qu’ont exprimé certains jeunes, parents, professionnels et nouvelles personnes « Je suis content d’être venu, c’est très actuel, ça résonne fort avec les nouveaux problèmes ». « J’ai dit des choses ». « Au début, j’avais rien compris. On m’a réexpliqué. Je suis contente de trouver des solutions pour qu’on se fasse connaître. » « J’avais peur que ça soit un truc trop ATD. Je suis contente de la présence des professeurs et des nouveaux car si on restait entre militants, tout serait changé depuis longtemps. » « C’est important de pouvoir proposer quelque chose ensemble ». « Cette piqûre de rappel est extrêmement intéressante. C’est génial de se retrouver, c’est une famille. »
* Françoise Ferrand, volontaire permanente ATD Quart monde, animatrice de la démarche de croisement des savoirs.