Nous sommes aux Jardins suspendus, où a lieu le festival Mon(s) Expressions, organisé par la COJ. Pendant toute la semaine, des organisations de jeunesse vont se succéder pour animer des jeux, des ateliers, ou des formations.
A chaque journée son thème : ce mercredi, c’est l’art engagé. Une délégation du groupe jeunes d’ATD Quart Monde va proposer au public de chercher, par le théâtre, comment réagir face à des situations injustes, comme le racisme ou la violence à l’école.
C’est la deuxième fois, depuis le début du projet, que le groupe représente ses scènes en dehors d’ATD Quart Monde ; certains sont un peu stressés.
A 14h00, les petites estrades sont remplies : un grand groupe d’ados des Maisons de jeunes viennent d’arriver.
Au micro, Damien explique le principe du théâtre-forum. Olivier, Bénédicte, Alex, Mohammed, Asma et Dylan sont sur scène ; la première scène démarre.
Un passager noir entre dans un bus. Deux passagers blancs, les pieds sur les sièges, refusent de le laisser d’asseoir et l’insultent. Le passager noir s’énerve. Les autres passagers ne réagissent pas, le conducteur lui, prend le parti des deux racistes, et appelle la police. Quand ils arrivent, les deux policiers, un blanc et un noir, embarquent le passager noir.
La scène finie, Damien invite le public à réagir : la situation leur parait-elle juste ? Non ? Qu’auraient-ils fait autrement, s’ils avaient été sur place ?
Mais au théâtre-forum, on ne se contente pas de parler, comme le découvrent les jeunes du public. Pour expliquer son idée, on va sur scène, et on remplace un des personnages.
Le public se prend vite au jeu, et les idées s’enchaînent. Antonin veut remplacer un autre passager, pour intervenir au moment où la police arrive. Le dénouement ne change pas vraiment. Samia, elle, veut se mettre dans le rôle du passager noir, et fait valoir ses droits : « je suis née en Belgique, comme vous« .
Mais face à des comportements racistes, « c’est dur de se défendre tout seul ». D’autres proposent de remplacer des passagers pour réagir dès le début : « mais c’est raciste ce que vous dites ! ».
A chaque changement de personnage, les acteurs sur scène doivent s’adapter, et improviser de nouvelles réactions, un exercice difficile.
Pour la seconde scène, changement de lieu, car il s’est mis à pleuvoir. Et la télé locale est là : la saynète sera filmée.
Nous sommes à l’école. Un ado rackette deux jeunes. L’incident reporté, ses parents sont convoqués par l’école. Le papa vient seul, la maman est malade. La directrice et la titulaire se font méprisantes. Le jeune arrive, et elles lui proposent un contrat disciplinaire. S’il échoue, il sera privé de sortie scolaire. On entend le jeune dire à la fin de la scène que sa famille n’ayant pas d’argent, elle ne pourra pas payer la sortie qui coûte 300€, et il n’ira pas de toute façon.
Scène plus difficile, sujet moins fédérateur. Certains pensent que si l’élève manque d’argent, c’est son problème, et c’est à lui de le régler : « il peut faire des gâteaux et les vendre ». De plus, il a été méchant, donc « personne ne voudra l’aider ».
D’autres petites voix s’élèvent, qui pensent qu’il faut trouver une façon d’aider le jeune qui galère : certains, comme Noé ou Cyril, tentent de remplacer les parents et de discuter. « Chaque élève de la classe peut donner un euro », dit une jeune fille.« OK, et à ton avis, comment se sentira le jeune, de savoir que sa classe a payé pour lui ? » lui répond Damien.
Une autre participante vient sur scène remplacer, dès le début, un des élèves rackettés : elle propose de refuser de donner son téléphone et de demander « pourquoi tu as besoin d’argent ? »
Emma, elle, choisit de remplacer le parent lors de l’entretien, et explique sa situation financière. Elle obtient des informations sur les aides sociales, via le PMS.
C’est une scène complexe pour un public plutôt jeune, qui ne pense à aucun moment à remettre en question le fonctionnement de l’école, et le coût de la sortie, au delà des moyens de certains. A la fin, une animatrice du groupe d’ados réagit : pour elle, c’est dans le prix imposé pour une sortie de loisir, que quelque chose cloche. Les prêts de l’école et les aides ponctuelles ne sont que des pansements, les familles qui galèrent ne peuvent pas en permanence y faire appel : c’est le système entier qui doit changer.
Écrit le 13 juillet 2015, par Magali Louette